Marcel Peltier s'en est allé

 

Portrait de Daniel Fleury
Daniel Fleury par Marcel Peltier

Est-il besoin de le dire, tant il s’agit d’une évidence, Marcel Peltier reste présent par son œuvre magistrale et généreuse, cela va de soi tant il y mettait les couleurs de son âme, mais aussi par la grande amitié qui émanait de lui.
Une véritable amitié ne s’entretient pas par le souvenir. C’est elle qui nous alimente et nous la recevons comme le miel de la manne dans le désert. Celui qui croit à la Communion des Saints comme Marcel y croyait le sait d’évidence : le chemin de la vie se poursuit de concert et c’est cette cohorte d’ombres aimantes qui nous aide à traverser les ronces de la terre et les courants contrariants des mers.
Nombreux sont ceux qui peuvent en témoigner : Marcel était la générosité même. Il donnait beaucoup, c’est-à-dire bien plus que son art qui, cependant, se voulait avant tout partage, n’hésitant pas parfois à se mettre en péril par fidélité. Une fois accordée, sa confiance était définitive, son affection inébranlable, son estime absolue. C’est pourquoi aujourd’hui nous le savons toujours parmi nous puisque nous avons besoin de lui.

“ Je te salue au seuil sévère du tombeau
Va chercher le vrai, toi qui sus trouver le beau”
Victor Hugo à la mort de Théophile Gautier

Daniel Fleury (septembre 2001)
 

Marcel peltier
Marcel peltier


Cher Marcel,

Ce 26 janvier, il fait frisquet sur Rouen. Le ciel a perdu son bleu que tu aimais tant. Comment te dire. Moi, en peinture je n’y connais pas grand chose. « J’y vois l’immensité, me disais-tu, le repos, le calme ». Rouen se réveille. A la gare des trains emportent ceux qui travaillent à Paris, d’autres amènent ceux qui bossent ici. Peut-être que parmi eux il y en a qui s’embarquent pour le carnaval de Venise. Venise, Rouen, deux villes que tu aimais tant. Je te demandais : « Et si tu devais choisir entre vivre à Venise et vivre à Rouen ? » Tu répondais : « Je vivrais tantôt à Rouen, tantôt à Venise ! Son carnaval est indispensable, la commedia del l’arte, c’est la comédie humaine, je me retrouve pleinement là-bas. Et Rouen, c’est ma ville. » Et à la question : « Mais, Marcel, rien ne te préparait à aimer la commedia del l’arte ? » tu répondais avec ton si bon sourire : « Non, je suis fils de paysans, j’ai été élevé dans un milieu très modeste, et par le travail, par cette volonté d’arriver, je suis devenu un autodidacte de la vie ».
Bon dieu, à Rouen, que ce 26 janvier est froid. Pourtant l’hiver n’est pas rude. Les automobilistes s’égarent un peu dans le nouveau plan de circulation. Je passe devant la cathédrale et je vois encore le bleu, et puis le rouge et ta palette, Marcel se promène sur l’édifice. « La peinture est un acte d’amour » m’affirmais-tu encore, car, disais-tu, peindre, c’est s’ouvrir aux autres ». C’est ce que tu as fait tout au long de ta vie d’artiste : être avec les autres. Hervé Bazin disait de toi : « Pour ma part, en un temps où sévit la glose théoricienne, où tant d’artistes peignent, en somme, avec de la salive, je vois en Peltier un praticien dont le talent ne recherche aucune provocation et préfère la justesse de l’évocation… »
Bon sang, ce qu’il fait froid à Rouen, ce 26 janvier. Tes dernières paroles résonnent encore en moi : « Ô mon Dieu, ce que je pourrais vous donner pour avoir ce que je n’ai jamais eu, la santé… Quoique vous pensiez de moi, je vous garderai près du cœur. Ô Christ-Roi, c’est vous que j’aime, gardez-moi près de vous pour que l’on sème l’amour, la tolérance, le bonheur. » Et quand je te demandais : « Qu’est-ce que tu aimerais transmettre à un jeune d’aujourd’hui ? » Tu répondais sans hésiter : « Le courage. La volonté. La ténacité. Encore une fois, être vrai dans la vie ».

Christian GENICOT
Normandie Magazine